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Voile et IT : High tech et Navigation ne font plus qu'1


L'époque où les navigateurs n'avaient qu'un compas, une sonde et un sextant pour traverser les océans est révolue. Aussi bien pour la navigation que pour la construction, les nouvelles technologies ont propulsé la voile dans une autre dimension.

Au-delà du défi humain, la course est aussi devenue un défi de hautes technologies.

Le refrain « le numérique est partout » a beau être cuisiné à toutes les sauces depuis maintenant une dizaine d'années, elle n'en est pas pour autant fausse.

Si, dans l'entreprise et dans la société de consommation, l'apport des nouvelles technologies est évident, dans le sport il l'est toutefois - pour l'instant - un peu moins. Et pourtant...

Si les rugbymen, les footballeurs ou encore les tennismen courent toujours après leurs balles comme ils le font depuis un grand nombre d'années, il ne faut pas oublier que, dorénavant, les capteurs, le Big Data et les data scientists font régner sur le sport une nouvelle ère.

Mais si dans ces sports, la mutation, pourtant réelle, n'est généralement visible ni à l'écran, ni pour le sportif; dans d'autres, c'est l'essence même du sport qui s'en trouve modifiée. « Nous en deviendrions presque des développeurs », confiait Pierre Rhimbault, champion de France de Match Racing et Figariste en devenir. Pour ceux qui n'auraient pas compris, il s'agit ici de Voile.


La voile a été transformée par l'émergence de l'IT En quelques décennies, la discipline, et notamment la course, a subi une forte évolution et ce à tous les niveaux, que ce soit dans la navigation, la construction et la préparation des bateaux ou même la communication.


Cette tendance s'est largement illustrée lors de la dernière coupe de l'America.

Avec des budget faramineux, les défis Oracle et Emirates Team New Zealand ont fabriqué des bateaux volants truffés de milliers de capteurs, lesquels remontent en permanence des centaines de données.


Sur le plan de la navigation, les skippers ont vu leur espace de vie s'informatiser toujours plus.


Depuis la généralisation du GPS, les sextants et les compas ont été remisés au placard, peut-être à tort tant beaucoup soutiennent qu'il est important de faire ses points sur une carte.

Au-delà de cela, tous les systèmes sont aujourd'hui informatisés. « Les skippers utilisent des logiciels comme Adrena qui permettent de centraliser toutes les données de navigation pour calculer sa route », explique Pierre Rhimbault.


Lors des régates, il n'est plus rare de voir les tacticiens utiliser des tablettes reliées en bluetooth à la centrale de navigation pour optimiser la trajectoire. Et les données sont de plus en plus nombreuses. Les bateaux comme les 60 pieds IMOCA qui courent le Vendée Globe ou les trimarans Ultim sont en effet truffés de capteurs.



Des voiliers de plus en plus connectés Dans la Voile, les objets connectés existent déjà depuis plusieurs années.


Les girouettes indiquent la direction du vent, les anémomètres sa force, des gyroscopes mesurent en permanence la gite (inclinaison) longitudinale et latérale du bateau et les capteurs sur la barre donnent sa position.


Des capteurs de charges sont également installés sur la structure, que ce soit sur la coque ou le gréement pour contrôler en permanence les forces subies par l'ensemble. Ils permettent de régler au mieux le bateau suivant les différentes conditions.

Le préparateur Mer Agitée, créé par Michel Desjoyaux, multiple vainqueur de la Solitaire du Figaro et du Vendée Globe, travaille également à la mise au point de penons électroniques.


Historiquement, les penons sont des petits fils de laine placés stratégiquement dans les voiles depuis déjà plusieurs siècles pour surveiller les écoulements d'air le long du profil.

Si les penons sont horizontaux, l'écoulement est laminaire et donc le fonctionnement de la voile est optimal.


À contrario, un décrochage du penon est synonyme d'écoulements non laminaires et donc de perturbations le long du profil qui baisse le rendement de la voile. « En équipant nos bateaux de ce dispositif, nous allons pouvoir optimiser en permanence le règlement du gréement, surtout la nuit où il est parfois difficile d'apercevoir les penons traditionnels », explique Dimitri Voisin, responsable R&D de Mer Agitée.

Toutes les données recueillies par ces penons sont transférées par bluetooth à la centrale de navigation.

À noter que ces innovations sont destinées à sortir du monde de la Voile. « Nous pouvons imaginer le déploiement de tels dispositifs sur les éoliennes », explique Dimitri Voisin.



Les penons électroniques mis au point par Mer Agitée viennent remplacer un dispositif inchangé dans le monde de la Voile depuis plus d'un siècle. À toutes ces données issues du bateau lui-même, il faut ajouter celles venant de l'extérieur, principalement les fichiers météorologiques au format gribs reçus en pleine mer par le biais de l'Irridium, ou tout autre fournisseur de connexion satellitaire.


Avant son avènement en 1998, les navigateurs utilisaient des récepteurs radio BLU (Bande Large Unique) mais les réglages parfois hasardeux pouvaient réserver de mauvaises surprises.


Toutes ces données sont compilées dans ce qui s'appelle la centrale de navigation qui va aider le skipper, à grand renfort d'algorithmes prenant en compte les courants, la force et la direction du vent ainsi que les polaires de vitesse du bateau, à déterminer le trajet le plus rapide.


Le « Le logiciel Adrena calcule les routes optimales en fonctions des conditions », explique François Gabart, skipper du trimaran Macif et vainqueur du dernier Vendée Globe.


Outre pour le routage, ces données servent surtout aux pilotes automatiques dont l'efficacité s'est énormément améliorée ces dernières années.

La folle remontée de Michel Desjoyaux dans l'Atlantique puis l'Océan Indien lors du Vendée Globe 2008-2009 qu'il a remporté, malgré une avarie le pénalisant de 40 heures au départ, témoigne de l'importance de bien régler son pilote automatique. Mer Agitée est d'ailleurs largement reconnue pour son savoir faire dans ce domaine.


Jules Verne battu « Les skippers passent aujourd'hui des heures à paramétrer les systèmes des pilotes pour que ceux-ci soient les plus efficaces possibles », raconte Pierre Rhimbault.

Alors qu'il y a quelques années, il était difficilement imaginable de laisser un pilote automatique gérer le bateau dans des vagues dépassant trois mètres et des vents supérieurs à 40 noeuds (à peu près 70 Km/h), les conditions « normales » des mers du sud, c'est aujourd'hui tout à fait possible.


Les résultats sont d'ailleurs largement visibles. Lors du premier Vendée Globe, en 1989, il avait fallu à Titouan Lamazou 109 jours et 8 heures pour boucler le tour du monde.

Lors de la dernière édition, en 2012, François Gabart n'a mis que 78 jours et deux heures alors que leurs bateaux font exactement la même taille et possèdent le même nombre de coques.


Philéas Fog, du « Tour du monde en 80 jours », était battu.

Et puisqu'il est question de Jules Verne, le trophée qui porte son nom et qui couronne l'équipage le plus rapide autour du monde est détenu depuis 2012 par Loïck Peyron qui, avec ses 13 hommes, est parvenu à boucler la boucle en 45 jours sur le maxi-trimaran de 42 mètres Banque Populaire.

Toutes ces avancées permettent aujourd'hui aux skippers d'être beaucoup plus performants dans la gestion du bateau et donc de la course.


La création de la classe de bateaux Ultime, regroupant des multicoques dont la taille est comprise entre 70 et 105 pieds (21,3 et 32 mètres), avec pour objectif de lancer dans les années à venir une course en solitaire autour du monde sans escales sur ces monstres, témoigne des progrès accomplis dans le domaine.


Si certains, comme Alain Colas en remportant la Transat Anglaise 1976 en solitaire sur son quatre mats Club Méditerranée de 72 mètres, avait déjà montré que de tels exploits était possible avant l'avènement de technologies de pointes, ces dernières apportent assurément beaucoup plus de sérénité aux skippers. « Quand je navigue en solitaire, j'ai besoin d'un co-pilote. L'ensemble de l'informatique de bord m'apporte cette assistance, donc plus d'efficacité et plus de sécurité », déclare François Gabart.


La sécurité renforcée


Sur ce dernier point, les progrès effectués sont également fulgurants.


L'avènement des réseaux satellitaires, notamment ceux d'Inmarsat et d'Argos, permet de localiser précisément les naufragés depuis les années 70. Les balises PLB (Personnal Life Beacon) offrent en outre de meilleures chances d'être retrouvé(e) en cas de naufrage.


Les systèmes de détection d'homme à la mer, comme celui de NKE, permettent, lors d'une navigation en solitaire, d'arrêter automatiquement le bateau face au vent.

Ils fonctionnent en général grâce à un petit boitier que porte le skipper sur lui.


Si celui-ci s'éloigne de plus de 30 mètres du bateau, le système se déclenche automatiquement.


L'AIS, dispositif permettant d'afficher en temps réel les trajectoires et les positions des bateaux aux alentours, évite, en principe, aux marins des mauvaises rencontres en pleine mer.


Si la façon de naviguer a évolué au gré des avancées technologiques, la conception des bateaux aussi. « Aujourd'hui, les technologies de modélisation et de simulation nous permettent d'être moins empiriques dans la fabrication des bateaux », estime Antoine Gautier, directeur du bureau d'étude de l'équipe de course au large de la Macif, qui vient de mettre à l'eau le nouveau trimaran de François Gabart.


Alors qu'il fallait auparavant passer par beaucoup de maquettage, une grande partie des essais pour les carènes peuvent désormais être simulés par ordinateurs.


Dans le choix des matériaux et de la structure, ces technologies ont également permis de faire de grandes avancées dans la course au poids. « Sur les deux IMOCA Foncia que nous avons mis au point pour Michel Desjoyaux, en 2007 et en 2010, nous avons perdu à chaque construction 25% de poids » illustre Dimitri Voisin.


La course au poids s'est accélérée

« Nous pouvons faire des parois de coques beaucoup plus fines et optimiser le rendement », ajoute Romaric Neyhousser, architecte naval collaborant notamment avec Guillaume Verdier.

Celui-ci a co-signé avec le cabinet VPLP les plans de la dernière génération de 60 pieds IMOCA pour le Vendée Globe.

Il a aussi conçu le trimaran Multi 50 Arkema de Lalou Roucayrol et travaillé sur le développement de l'Hydraplaneur d'Yves Parlier.


La construction elle-même des bateaux a évolué.


Alors qu'en 2007 la plupart des coques d'IMOCA avait une structure monolithique tenue par des varangues, sorte d'arceaux gardant la forme de la coque, la nouvelle génération de bateaux - marquée par la suprématie des plans des cabinets d'architecture VPLP et Verdier - adopte aujourd'hui une structure bien plus alambiquée, à base de poutres et d'étais qui assure une meilleure cohésion du bateau en utilisant moins de matériaux.


Il n'en reste pas moins que l'effet de l'élément marin reste non-modélisable dans son entier. « Si la modélisation et la simulation nous permettent d'accélérer les processus de décisions et d'avoir une vision plus précise de ce que nous avons à faire sur les bateaux, le seul vrai test se fait en conditions réelles. Il faut donc toujours garder une marge pour éviter de très mauvaises surprises aux skippers », explique Romaric Neyhousser.


Des informations plus précises mais pas complètes

Les capteurs placés sur les bateaux permettent toutefois d'industrialiser et d'automatiser le processus d'apprentissage.


Avant, les architectes devaient se baser sur leur ressenti et celui des skippers en navigation pour comprendre quelles parties devaient être améliorées et dans quel sens.

Avec ces données, ils ont maintenant des informations bien plus précises sur le comportement du bateau.


L'avènement des foils, des plans porteurs immergés qui permettent aux multicoques de littéralement décoller au dessus de l'eau et aux monocoques d'obtenir plus de puissance, illustre bien cette tendance.


Leur utilisation sur des machines de course océanique étant récente, ils sont truffés de capteurs permettant d'analyser leur comportement et de faire évoluer les profils. « Nous ne sommes pas encore dans des volumes de données qui nous permettent de les qualifier de Big Data mais nous faisons déjà des analyses très poussées », témoigne Dimitri Voisin.


Partenaire du Team Macif, Intel a d'ailleurs fourni à ce dernier des clusters HPC (High Performance Computing) pour l'assister dans les analyses de données et les procédures de simulation.


Et la tendance, pas prête de s'arrêter, va même s'accélérer. « Nous en sommes encore aux balbutiements par rapport à la formule 1, qui est un autre sport mécanique. Nous commençons à peine à nous professionnaliser. Dans les années à venir, la technologie, les données et les foils vont complètement changer la façon de naviguer », estime Antoine Gautier.


La voile est rentrée dans l'ère de la communication 3.0 Au-delà des aspects purement technologiques, l'IT a également modifié la perception de la voile par le grand public.

Alors qu'à l'époque des Tabarly et Colas, le spectateur n'avait des nouvelles des navigateurs qu'à leur départ et à leur arrivée, aujourd'hui, nous pouvons suivre les skippers au jour le jour sur les bateaux.

Le tracking en temps réel via des plateformes comme Géovoile permet d'avoir en permanence la position des bateaux sur le globe ainsi que leur vitesse et leur cap.


Pour les Extremes Sailing Series, compétition mondiale de catamaran de 12 mètres, SAP a même mis en place une plateforme dédiée.

Elle permet de suivre les courses en temps réel et d'accéder aux différentes caméras placées sur le parcours et les bateaux.

La dernière coupe de l'America, suivie en ligne par plusieurs dizaines de millions de spectateurs à travers le monde, en est un autre exemple.


En outre, les connexions satellitaires permettent aux skippers d'envoyer de nombreux contenus, vidéo et audio, même depuis le large.


Mer Agitée travaille justement sur un système complet de caméra IP à déployer à bord des bateaux pour que les spectateurs puissent suivre au jour le jour les tribulations des skippers.


Intel collabore d'ailleurs avec Macif pour développer de nouveaux systèmes d'acquisition et de restitution phoniques dit « binauraux ».

« Avec, nous avons un son hyper directionnel et très profond qui apporte un rendu quasi-réaliste. On s'y croirait » détaille Antoine Gautier.

Toutes ces innovations ont notamment pour but de simplifier la communication des skippers et surtout de leurs sponsors.

Dans cette optique, les réseaux sociaux sont d'ailleurs mis à forte contribution. « Nous utilisons beaucoup Twitter, Facebook et Instagram pour communiquer autour de nos courses et de nos résultats », déclare Pierre Rhimbault, actuellement à la recherche de sponsors et de mécénats. En période de crise, trouver des budgets pour financer des projets parfois onéreux est loin d'être une chose facile. « J'ai un trimaran qui m'attend à quai depuis un an mais je n'ai pas les moyens de le faire naviguer », a déploré il y a peu Michel Desjoyaux au sujet de son MOD 70.

Même pour des navigateurs de son ampleur au palmarès long comme le bras, la chose n'est pas aisée. De nombreux skippers ont ainsi recours au crowdfunding pour boucler leur budget.


« Comment faisaient nos aïeux ? » Et le monde de la course au large n'est pas le seul à jouir de cette émulation technologique. Le monde de la plaisance en profite largement.


Outre les bateaux qui deviennent plus légers et donc plus maniables, les conditions de navigation et de sécurité se sont largement améliorées grâce aux innovations citées plus haut. « Aujourd'hui, on veut naviguer connecté, pressé et en sécurité. Pour quelqu'un qui voulait revenir aux fondamentaux, je me retrouve ultra-équipé », dénote Georges Epinette, ancien DSI de la STIME qui profite de sa retraite pour naviguer le plus possible.


Même s'il salue ces avancées et leurs avantages indéniables, il regrette que cette évolution ait tendance à émousser le sens marin.

Les annonces des fabricants Jeanneau et Harken sur l'AST (Assisted Sail Trim) claironnant l'automatisation quasi complète du fonctionnement du bateau l'ont certainement fait bondir. « J'en viens à me demander comment nos aïeux faisaient pour traverser des océans avec une sonde, une montre un sextant et un compas », déclare-t-il. Certains lui répondront qu'il leur fallait surement plus de 45 jours.


Intel et Arkema jouent la carte de l'innovation dans la voile


Le sponsoring est souvent affaire d'image. Mais pour certaines marques, la démarche va au delà. C'est notamment le cas d'Intel et d'Arkema. Partenaire de l'équipe de course Macif, le fondeur américain utilise le trimaran de François Gabart pour tester certaines de ses solutions. C'est notamment le cas des systèmes de captation phonique binauraux. Intel a mis au point un prototype de casque audio capable d'enregistrer le son entendu par le skipper et de le retranscrire exactement. Le fondeur souhaite ensuite intégrer cette technologie sur les produits grand public comme les tablettes et les smartphones. En outre, Intel fournit une grande partie des solutions utilisées à bord et à terre par l'équipe. Le bureau d'étude a ainsi bénéficié de clusters HPC du fondeur basés en Angleterre pour réaliser ses calculs. Ils ont permis de déterminer les formes de carènes et des foils. L'informatique de bord du trimaran Macif repose entièrement sur une architecture NUC doublée pour des raisons de sécurité. Mais dans le cas d'Arkema, le partenariat est encore plus poussé. Armant le trimaran Multi 50 de Lalou Roucayrol, le groupe spécialisé dans la chimie et le design de matériaux innovants, fournit lui-même plusieurs pièces du bateau. « Le partenariat avec Lalou Roucayrol a débuté alors que le trimaran était déjà en phase de construction, nous n'avons donc pas pu nous investir massivement dans cette phase », explique Sophie Suc, directrice de la communication d'Arkema. Mais certaines pièces maitresses sont pourtant de la facture du chimiste. C'est le cas de toutes les parties vitrées qui sont fabriquées dans un matériel mis au point par Arkema, des mastics qui servent à l'étanchéité et des plaques de renfort qui soutiennent la structure du bateau.

Des laboratoires flottants Toutefois, le chimiste ne compte pas en rester là. Dans le cadre de son partenariat avec Lalou Roucayrol, Arkema va se lancer dans la construction d'un Mini 6.50 pour le jeune skipper Quentin Valmynck. Ces petits bateaux de six mètres et demi, destinés à traverser l'Atlantique lors de la Mini Transat, sont de véritables laboratoires flottants pour leurs ainés plus imposants. « Ce bateau va réellement nous servir pour tester de nouveaux matériaux. Ce sera en outre un véritable démonstrateur technologique », déclare Sophie Suc.



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