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Quelle est l’influence de la publicité sur les préférences alimentaires des enfants ?

Après avoir organisé, en collaboration avec l'université de Liverpool, un séminaire sur « L'impact du marketing alimentaire sur les modes de consommation des enfants » en mars 2014, l’Inpes a commandité une étude à deux intervenantes du séminaire : Amandine Garde, professeur de droit à l’université de Liverpool et Marine Friant-Perrot, maître de conférences à l’université de Nantes, dont les travaux s’interrogent notamment sur cette question.


Après avoir rappelé l’évolution des taux de surpoids et d’obésité en France, cette étude dresse un bilan des recherches établissant l’existence d’un lien direct entre le marketing pour des produits alimentaires « peu sains » et les comportements alimentaires des enfants.


Elle analyse ensuite comment différents pays ont réglementé le marketing alimentaire en direction des enfants afin de prévenir le surpoids et l’obésité infantiles, en évaluant ces expériences au regard des recommandations de l’OMS sur la commercialisation des aliments et des boissons non alcoolisées destinée aux enfants.


Les auteures s’interrogent enfin sur les différents arguments susceptibles de justifier les restrictions du marketing alimentaire.


Par ailleurs, elles interrogent l’opportunité de restreindre le marketing pour les produits alimentaires peu sains sans tenir compte du rôle de l’étiquetage de ces produits et les formes simplifiées d’information nutritionnelle.


Ces derniers pourraient en effet favoriser des choix alimentaires plus sains et contribuer aussi à la prévention et au contrôle de l’obésité en France.



L’Obésité en France :


Un rapport publié en février 2014 par le bureau régional de l’OMS pour l’Europe indique que 27 % des enfants de 13 ans et 33 % des enfants de 11 ans sont en surcharge pondérale.


En France, où la moitié des adultes sont en surcharge pondérale et près d’un adulte sur six est obèse, la prévalence de l’obésité et du surpoids tend à se stabiliser mais ce constat masque des inégalités sociales et territoriales. Par ailleurs la France est au premier rang en termes de consommation de graisses saturées parmi les 53 pays de la région Europe, 33 % de la population âgée de plus de 15 ans ne pratiquent pas suffisamment d’activité physique et plus de la moitié du temps libre est passé devant un écran (données Insee).



Les recommandations de l’OMS :


La réglementation de la publicité alimentaire en direction des enfants comme stratégie de lutte contre le surpoids et l’obésité infantiles est depuis longtemps un cheval de bataille de l’Organisation mondiale de la santé.


Dès 2007, les États membres sont parvenus à un accord sur « l’élaboration par l’OMS d’un ensemble de recommandations en matière de commercialisation des produits alimentaires et boissons non alcoolisées auprès des enfants ».


L’OMS a publié un rapport sur le sujet en juillet 2012 dans le cadre de la Stratégie mondiale pour la lutte contre les maladies non transmissibles (MNT) 2013-2020.


Ces recommandations reposent sur des études indépendantes établissant l’existence d’un lien direct entre le marketing alimentaire et les préférences alimentaires des enfants qui y sont exposé.


Marine Friant-Perrot et Amandine Garde synthétisent ces recommandations peu citées ou reprises en France alors qu’elles apportent des voies prometteuses pour lutter contre l’obésité infantile via la restriction du marketing des produits alimentaires peu sains.


Parmi ces propositions OMS, la réduction à la fois de l’exposition des enfants et de la force des messages commerciaux en faveur des aliments peu sains.


L’efficacité de la commercialisation résulte en effet de la combinaison de ces deux facteurs.


Il s’agit d’une part de couvrir et de contrôler l’ensemble des média (télévision, Internet, réseaux sociaux, téléphones portables, jeux vidéo, affichage, radio, presse) véhiculant ces publicités mais aussi toute forme de publicité dans les lieux accueillant des rassemblements d’enfant (dont les crèches, les écoles, les cours de récréation et centres d’accueil préscolaires, les terrains de jeux, les dispensaires recevant des familles et des enfants, les services de pédiatrie, etc.).


Il convient d’autre part, de réduire la force des messages commerciaux dans tous ces médias.


L’impact des messages publicitaires sur les esprits des enfants est dépendant de certaines techniques éprouvées comme l’utilisation de célébrités (chanteurs, sportifs, acteurs), les personnages imaginaires mascottes des marques, les personnages de dessins animés, les offres promotionnelles, les cadeaux (figurines, places de cinéma), le parrainage (sponsoring en anglais), la présence de jouets dans les menus enfants des chaînes de restauration rapide, les allégations nutritionnelles et de santé, les emballages (packaging) « affectifs », etc.


L’OMS invite aussi les États à ne pas laisser les industriels de l’agro-alimentaire et de la communication développer leurs propres normes en dehors de toute contrainte publique, de nombreuses études ayant montré les limites de l’autorégulation dans ce domaine.



Le marché « enfants », une manne pour les industriels de l’agro-alimentaire :


Marine Friant-Perrot et Amandine Garde font état des ouvrages généraux sur la publicité ciblée enfants (« Kid marketing » en anglais).


Ils montrent que le marché des enfants intéresse les entreprises à triple titre.


Un enfant est un consommateur adulte en puissance : fidélisé dans son plus jeune âge, il continuera à avoir les mêmes habitudes de consommation.


Ensuite, leur pouvoir d’achat est en constante augmentation.


Enfin, ils possèdent un pouvoir de prescription important au sein de la famille.


Le marché « enfants » est évalué aux alentours de 40 milliards d’euros (pouvoir d’achat direct et indirect des 11-25 ans).


L’argent de poche augmente et les dépenses alimentaires sont consacrées majoritairement aux aliments nutritionnellement déséquilibrés.


Ainsi, plus de 50 % des dépenses des 8-12 ans concernent l’achat de bonbons, chewing-gums et confiseries au chocolat.



Une cible particulièrement vulnérable :


Selon le rapport de France Stratégie publié en 2010 « Neurosciences et politiques publiques », de nombreuses études montrent que les enfants sont particulièrement sensibles à l’impact des images, notamment en raison de la grande plasticité de leur cerveau.


Ils sont aussi plus enclins aux réactions affectives et montrent une plus faible élaboration cognitive, le jugement et l’esprit critique se développant plus tard.


Les auteures indiquent aussi que sur Facebook - interdit officiellement au moins de 13 ans -, les enfants sont exposés à un marketing direct ou indirect et sont invités à « liker » des publicités alors qu’ils ne détectent pas toujours qu’il s’agit de marketing viral et qu’à leur âge, l’influence des pairs est déterminante dans les choix de consommation.


En cela, c’est le contenu même des programmes publicitaires auxquels sont soumis les enfants qui est mis en cause et non le seul temps passé devant la télévision et le comportement sédentaire que cela induit.



Une synthèse de la littérature :


Sachant que le marché enfants est évalué à 40 milliards d’euros en France et que les dépenses alimentaires sont consacrées majoritairement aux aliments malsains, il n’est pas surprenant que les enfants soient une cible privilégiée des entreprises agro-alimentaires et qu’un nombre croissant d’études (théoriques ou expérimentales) porte sur l’impact du marketing sur leurs comportements alimentaires.


Si la recherche s’est longtemps intéressée à l’influence de la publicité télévisée - la télévision restant encore le canal privilégié de la publicité alimentaire - ; elle tend à se diversifier, portant également sur Internet, les réseaux sociaux, les « advergames », les téléphones portables, mais aussi sur des medias plus traditionnels comme le parrainage, les kits pédagogiques distribués en milieu scolaire, les emballages alimentaires; ou encore des techniques marketing spécifiques comme l’utilisation de porte-parole de marque (sportifs, chanteurs, personnages de dessins animés, etc.), d’offres promotionnelles (avec des avantages en argent ou en nature comme l’attribution de cadeaux), ou d’allégations nutritionnelles et de santé.


Les études recensées relèvent de différents champs disciplinaires (marketing, psychologie, sociologie, médecine, etc.), certaines sont théoriques et d’autres intègrent des données expérimentales.


Les neurosciences y tiennent un part grandissante.


En permettant de mettre en lumière la contribution respective des processus conscients et inconscients dans la prise de décision des consommateurs, elles réinterrogent le modèle de «l’homo economicus» au sein des sciences sociales en montrant les limites de la rationalité économique du «consommateur souverain».


Les auteures constatent ainsi que les études parues sont issues d’expertises scientifiques collectives qui mobilisent des chercheurs de multiples disciplines.


En France, elles en recensent quatre majeures : le rapport de l’Institut nationale de la recherche agronomique (Inra) de 2010 sur les comportements alimentaires; le programme de recherche Marco (Marketing to Children and Obesity) financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR); le programme «Gouverner les conduites des consommateurs : les cas des politiques de lutte contre l’obésité et de consommation durable», financé par l’ANR (2008-2012); et l’expertise collective de l’Inserm «Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique» de 2014.


Le rapport conclut cette première partie sur un constat très clair : le marketing alimentaire influence directement les choix alimentaires des enfants en favorisant leurs préférences pour des produits peu sains.



Comment le marketing alimentaire a-t-il été réglementé dans le monde ?


Le rapport présente plusieurs expériences étrangères, montrant comment d’autres pays ont encadré juridiquement le marketing alimentaire destiné aux enfants.


Il distingue deux approches : La première qui caractérise notamment la règlementation britannique vise à limiter spécifiquement le marketing pour les produits alimentaires peu sains afin de créer un environnement médiatique susceptible de promouvoir des choix alimentaires plus sains et de lutter ainsi contre l’obésité.


La deuxième approche repose sur une interdiction de toute forme de publicité commerciale pour enfants dans le but de les protéger – en raison de leur crédulité et de leur vulnérabilité particulières – de ses effets délétères.


Une telle approche, qui est notamment en vigueur au Québec, a pour conséquence indirecte de limiter l’exposition des enfants au marketing pour les produits alimentaires peu sains, contribuant ainsi aux objectifs de santé publique.



Les leviers du changement :


Le rapport analyse enfin les arguments susceptibles de justifier la restriction du marketing pour les produits alimentaires peu sain destiné aux enfants et l’adoption de mesures législatives dans ce domaine.


Si certains arguments sont essentiellement économiques, se fondant sur le coût élevé de l’obésité pour la société, d’autres font valoir l’effet de ce marketing sur le creusement des inégalités sociales, ainsi que les atteintes qu’il porte aux droits fondamentaux dont celui à la santé et à une alimentation adéquate.


Le rapport conclut que ces différents leviers du changement doivent donc être conçus comme se renforçant mutuellement : les considérations humaines et économiques peuvent être invoquées ensemble afin de promouvoir la mise en vigueur, en France comme ailleurs, des recommandations de l’OMS et de restreindre ainsi le marketing pour les produits alimentaires peu sains, notamment en direction des enfants.


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